Imaginez, vous signez pour un job en remote.
Vous allez enfin pouvoir quitter une ville qui ne vous plaît pas et construire votre vie de famille au vert, avec un métier que vous aimez et qu’il n’aurait pas été possible de trouver là où vous déménagez.
Toute votre vie s’est réorganisée autour de cette opportunité de travail en remote.
Mardi, 13h19, un email du CEO apparaît dans votre boîte :
“Le télétravail n’est plus acceptable. Tout salarié souhaitant effectuer du télétravail devra être présent au minimum 40 h par semaine au bureau ou devra quitter l’entreprise.”
Aujourd’hui, je vous propose de retracer le changement de position d’Elon Musk sur le télétravail et le bien-être de ses équipes, au profit de la productivité. Un nouveau format sur Papapillon pour explorer la culture du travail à travers le monde… parce qu’on n’est pas tous logés à la même enseigne.
🤩 Ce que vous allez découvrir aujourd’hui :
La culture “ultra-hardcore” d’Elon Musk
Les conséquences à long terme
Réflexion : engagement, économie…
⏳ Temps de lecture : 4 minutes
🛋️ De “travailler à la maison” à “créer sa maison au travail”.
Non, en introduction, ce n’était pas un message inventé de toute pièce… mais l’œuvre d’Elon Musk, CEO de Tesla, SpaceX et X (ex-Twitter). Comment en sommes-nous arrivés là ?
Spoiler : vous allez voir, l’arrêt du télétravail, ce n’est même pas le pire !
TESLA, la culture “ultra-hardcore” (nom trouvé par les employés eux-mêmes)
👉 2018, Situation d’urgence :
Dans une interview accordée au New York Times, Elon Musk révèle les difficultés financières que rencontre Tesla. Dépenses de folie, difficultés à atteindre les objectifs de production… Tesla aurait même frôlé la mort à quelques semaines près.
Situation d’urgence, Musk dévoile son rythme de travail extrême :
🛌 120 heures de boulot par semaine.
🌙 Nuits à dormir dans l’usine.
😳 Des jours sans en sortir.
Et ça, ça va poser la première pierre d’une culture d’entreprise très (trop) exigeante.
👉 2020, un matelas et un sac de couchage :
Confinement mondial.
Les deux plus importantes usines d’assemblage de Tesla sont à l’arrêt : Californie et Shanghai.
Encore un coup dur pour l’entreprise qui est au bord de la faillite.
Réaction :
Aux États-Unis : Musk défie les ordres de confinement en Californie et rouvre l'usine Tesla malgré les risques de santé publique.
À Shanghai : Bloomberg révèle que les employés de la méga-factory Tesla travaillent 6 jours/ 7 sur des plages de 12 heures par jour… et dorment sur le sol, avec un petit matelas et un duvet. À savoir que ce mode de fonctionnement “en boucle fermée” est plébiscité par la Chine pour maintenir l’économie.
Il justifie sa décision par la nécessité de maintenir la production face aux difficultés économiques. En interview à Recode, il affirme que Tesla ne survivrait pas si les salariés ne travaillaient par 100 h/ semaine.
Bref, Tesla s’en sort encore de justesse, mais à quel prix pour les équipes ?
Des conditions de travail qui enlèvent toute humanité aux personnes.
👉 2022, le coup de grâce pour le télétravail :
Le confinement est derrière nous, mais visiblement, Tesla ne se remet toujours pas sur pied.
Situation (encore) urgente = réaction d’Elon Musk.
Un email est envoyé aux équipes.
C’est le mail dont je vous parlais en introduction.
Mai 2022, Elon Musk envoie un email abrupt en deux parties.
Email 1 : “Le télétravail n’est plus acceptable”.
Email 2 : “Pour être super clair”. (pour bien enfoncer le clou).
Le fond du message (plutôt culpabilisant) :
Tous les salariés en remote devront travailler au minimum 40 heures par semaine sur site, ou quitter Tesla.
👉 2024, combo ultime :
Aujourd’hui, Tesla, c’est une culture de travail extrême.
Plus de remote possible (ce qui est rigolo c’est que Tesla a publié puis supprimé quelques annonces en 100% remote sur son site récemment).
Des situations d’urgence qui sont devenues une norme puisqu’en 2024, Elon Musk réitère sa demande et incite les employés à dormir sur site pour refaire face à la vague de production attendue pour la sortie de nouveaux véhicules électriques en 2025.
Ces pics de production sont éprouvants, et il le nomme lui-même “Production Hell”.
Le hic avec tout ça, c’est que ce rythme de travail est devenu une marque de fabrique propre à Elon Musk puisqu’il l’a répliquée au rachat de Twitter. 50% des équipes ont été licenciées et les éléments restants ont vu leurs bureaux transformés en vraie chambre d’hôtel… ou canapé aménagé.
👉 Ressource :
Si vous souhaitez approfondir vos connaissances sur cette culture du travail, je vous invite à écouter le témoignage d’un employé de Tesla dans ce podcast : “The Human Cost of Ultra Hardcore”.
Tesla’s ‘ultra hardcore’ work culture — as told by its employees
💣 Conséquences
À court terme, Elon Musk a réussi à atteindre ses objectifs, certes.
Mais à long terme, les dégâts commencent à apparaître :
Baisse de moral des salariés dû à l’épuisement, au manque de considération et, comme beaucoup d’employés de Tesla ou SpaceX en témoignent sur le réseau social Reddit, ils ont manqué des moments de vie importants : des anniversaires, des mariages, les enfants qui grandissent ou même des décès.
Hausse de l’absentéisme, qui est une conséquence directe de l’épuisement physique et mental.
Difficulté à recruter, car les candidats, installés avec leurs familles, ne souhaitent plus déménager en sachant que d’autres entreprises proposent des conditions de travail plus flexibles.
Difficulté à maintenir les talents : en l’espace de 6 mois, le média Futurism déclare que l’usine allemande Tesla aurait 2 fois plus de jobs vacants qu’avant. Si la marque réussit à attirer de nouveaux talents, elle ne parvient pas à les retenir.
À la vue des conditions de travail préoccupantes des salariés (on parle aussi de manquements à la sécurité), les équipes se réunissent sous forme de syndicats… piétinés par Elon Musk qui licencie les salariés menaçant d’organiser des grèves. Décidément, c’est vraiment hardcore.
💭 Réflexion
En tant qu’entrepreneur et papa, retracer cette histoire m’a amené à plusieurs questionnements.
Peut-on attendre de ses équipes un engagement aussi puissant que les fondateurs ?
Quand je regarde les réactions d’Elon Musk, je vois celles d’un entrepreneur qui se donne corps et âme pour son projet, car il se lève pour, il en est convaincu, c’est sa mission de vie. Il se met lui-même en avant pour montrer l’exemple, montrer qu’il est un patron qui se bat aux côtés de ses équipes pour un projet commun (il porte un discours d’ailleurs très culpabilisant dans ses emails). Mais quand on y réfléchit, c’est impossible d’attendre le même niveau d’engagement de ses équipes. C’est certes ultra-important d’employer des personnes qui partagent tes passions et tes valeurs, mais il y a aussi un souci d’intérêt personnel (émotionnel et financier). Un fondateur est passionné et omnibulé par son idée ET a investi des fonds personnels. Sa stabilité de vie dépend de l’entreprise. Si ça foire, le sens qu’il a donné à sa vie s’effondre, tout comme sa sécurité personnelle. Pour lui, c’est une question de survie.
Trop de passion et de responsabilité pour ses employés : est-ce suicidaire ?
En fouillant sur Qora, je suis tombé sur le témoignage assez parlant de Josh Boehm, ancien salarié de SpaceX avec un avis totalement opposé aux critiques. Pour lui, ce n’est pas Elon Musk qui impose ce rythme de travail intense, ce sont les employés passionnés qui ont ENVIE de suivre ce rythme pour atteindre leurs objectifs communs :
The thing is no one, especially not Elon, is forcing you to work long hours. SpaceX just hires self-driven people who are extremely passionate about the mission. Long hours is just usually what it takes to get the job done, especially if you're working with limited resources. (extrait de son témoignage)
Le truc, avec les personnes passionnées, c’est qu’elles ne s’imposent pas de limites. Elles font avancer le projet vite, elles savent faire rayonner la culture d’entreprise, mais il y a forcément un moment où ce rythme intense les achèvera : pof, burn out. Alors en tant qu’entrepreneur, mon avis, c’est qu’on a aussi un devoir, celui d’imposer des limites et de montrer l’exemple. Par exemple : avec la Semaine de 4 jours, inviter à déconnecter tôt pour profiter de ses proches, imposer aux équipes de prendre des congés etc.
Faut-il appliquer des lois pour changer les normes ?
Quand Elon Musk justifie ces conditions de travail, il parle du devoir de rivaliser avec la Chine, qui a un rythme de production tellement rapide qu’elle pourrait mener toutes les marques de véhicules concurrentes à leur perte. Mais si on suit cette réflexion, cela voudrait dire accepter de faire toujours plus au détriment de la vie humaine et de la planète sur laquelle on vit.
Produire plus pour créer plus de richesse.
Extraire plus de ressources pour soutenir cette production.
Augmenter la charge de travail pour tenir la cadence.
Où est la limite ? Si l’on n’en fixe pas, rien ne changera.
Je crois au pouvoir du collectif.
J’aime me dire que les particuliers n’accepteront plus ces conditions et qu’ils se tourneront vers des entreprises plus respectueuses… mais souvent, ces personnes n’ont pas le choix et ne sont que des victimes de ce modèle. Le collectif est-il assez puissant pour faire changer les mentalités des grosses entreprises et des gourvernements ? Je pense qu’il faut de l’action des deux côtés !
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Avez-vous aimé ce nouveau format ? 😁
Si quelqu’un vous a transféré cette édition de Papapillon et que vous voulez lire les prochaines :
📋 C’est quoi la suite ?
En ce moment, le rythme est intense pour les équipes : rentrée, inauguration, lancements produit, évènements marketing à venir… Du coup, je me suis dit que ce serait l’occasion de s’octroyer (pour tous) un moment d’introspection : quels signes indiquent qu’il est temps de prendre du temps pour soi ?
Si ce contenu vous plaît et que vous avez envie d’en apprendre encore plus cette année, n’hésitez pas à mettre un petit ❤️ juste en haut de cet article ! Ça m’aide à faire connaître notre culture du travail auprès d’autres entreprises qui pourraient l’adopter. MERCIII !
À lundi prochain,
Baptiste
Sources :
https://www.cnbc.com/2022/09/14/tesla-struggles-with-elon-musks-strict-return-to-office-policy.html
https://www.nytimes.com/2018/08/16/business/elon-musk-interview-tesla.html
J'adore le format ! C'est hyper intéressant d'avoir aussi ton analyse un peu plus "empathique", en tant qu'entrepreneur qui comprend mieux les motivations d'un CEO super impliqué dans son projet. Car d'un point de vue extérieur, on dirait juste un psychopathe 😂 Comme toi, j'espère que bientôt, les entreprises qui proposent des modèles alternatifs au "gagner plus > produire plus > extraire plus > travailler plus" deviendront la norme 🤞
Merci Baptiste, pour ce que tu écris et tes actes 😍, c'est très inspirant et trace une voie plus vertueuse au "toujours plus" qui épuise la vie.
Ton article nous rappelle aussi que choisir ce que nous achetons est aussi un acte politique, devenu vital.